« Aides d’Etat illégales » : la FNAIM attaque en justice les « dérives » des Safer
Delphine Jeanne | Publié le 05/03/2025
Pour la Fédération nationale de l’immobilier (FNAIM), les Safer se sont éloignées de leur mission première et concurrencent désormais de façon disproportionnée les acteurs privés de l’immobilier, grâce à des subventions et des exonérations injustifiées et un abus de position dominante. L’organisation a ainsi déposé, mi-janvier, deux plaintes auprès de la Commission européenne.

La première de ces plaintes dénonce des aides d’Etat illégales, tandis que la deuxième s’attaque à « l’abus de position dominante des Safer », a expliqué Loïc Cantin, président de la FNAIM, le 5 mars. Si son organisation « ne remet pas en cause le rôle des Safer », elle dénonce un détournement de leur objectif initial de régulation du foncier agricole et d’aide à l’installation d’agriculteurs.
Pourquoi les aides seraient-elles illégales ?
La FNAIM estime en effet que les financements publics alloués au fonctionnement aux Safer, de l’ordre de 300 M€, ne sont pas justifiés, d’une part car ces aides d’Etat ne sont pas notifiées, comme elles le devraient, à la Commission européenne. D’autre part, parce que les Safer ne tiennent pas de comptabilité analytique, une obligation qui vient normalement avec ces aides. En parallèle, l’action agricole des Safer ne concerne que 22 % de ses activités, souligne Loïc Cantin, qui demande donc à ce que ces aides soient remises en cause, d’autant plus qu’elles génèrent une distorsion de concurrence importante, sur le terrain, pour les acteurs privés de l’immobilier.
Les Safer, « premier marchand de biens de France »
« Aujourd’hui, les Safer sont consultées à chaque vente, même sur l’immobilier d’habitation ou de commerce si un espace est inscrit dans une destination agricole », déplore Loïc Cantin, qui dénonce « un abus de droit lors d’une transaction ». En effet, les Safer ont ainsi la possibilité d’acheter et de revendre comme n’importe quel marchand de bien, mais en bénéficiant d’une exonération des droits de mutation à titre onéreux, un droit qu’elles vont pouvoir transférer à leur acheteur. En contrepartie, les Safer prennent un commissionnement sur la transaction.

Or ces transactions n’ont pas toujours de lien avec l’agriculture, s’indigne Loïc Cantin, qui met en avant le site des Safer, propriétés-rurales, « où nombre de biens immobiliers n’ont aucun rapport avec l’activité agricole ». « On ne peut pas supporter une telle distorsion de concurrence qui repose sur des avantages qui ont été détournés », ajoute le président de la FNAIM. Et la situation est d’autant plus gênante que le marché des maisons et des biens à la campagne a prospéré ces dernières années.
La FNAIM dénonce également le monopole d’information des Safer, qui ont « un accès exclusif et anticipé aux transactions foncières rurales grâce à un monopole d’information ». Un accès « privilégié » qui leur permet « de constituer une base de données exhaustive et de prendre contact avec les vendeurs avant même que les agences immobilières ou les notaires n’en aient connaissance », souligne Loïc Cantin.
Un manque à gagner important pour les collectivités locales
Au-delà de la distorsion de concurrence des acteurs de l’immobilier, ce mécanisme porte aussi préjudice aux collectivités locales, indique la FNAIM. Car si une augmentation des droits de mutation a été décidée pour renforcer les collectivités, l’exonération dont bénéficient les Safer constitue « une forme de détournement des fonds publics », estime Loïc Cantin qui illustre son propos avec la Bretagne. Dans cette région, les transactions réalisées par la Safer sur les maisons rurales en 2022 représentaient près de 3 milliards d’euros, soit 150 M€ de droits de mutation à titre onéreux qui ne sont pas rentrés pas dans les caisses des départements bretons, explique-t-il.
« Le droit de propriété est en danger »
La FNAIM s’inquiète d’autant plus qu’une proposition de loi actuellement en discussion à l’Assemblée nationale vise à renforcer le pouvoir des Safer dans le but de « lutter contre la disparition des terres agricoles et renforcer la régulation des prix du foncier ». Le texte prévoit notamment la possibilité, pour les Safer, de demander la notification disjointe d’une maison d’habitation et de son jardin d’agrément, « ce qui aurait un impact très important pour les vendeurs et pour la valeur immobilière », indique Loïc Cantin. « Le droit de propriété est en danger », poursuit-il.
Pour la FNAIM, l’argument qui conduit à renforcer le pouvoir des Safer est fallacieux. « On sait que dans un délai très court, des milliers d’hectares ne trouveront pas preneur en France. On brandit l’étendard de la préservation de la surface agricole, alors que le vrai enjeu sera de trouver des gens qui voudront devenir agriculteur. Il ne faut pas se tromper de combat, l’agriculture est en danger, les surfaces agricoles ne le sont pas », s’agacent les élus de la fédération.

Outre les deux plaintes qui ont été déposées, et reçues par Bruxelles, un courrier a été envoyé par la FNAIM à la ministre de l’agriculture pour échanger sur ce point. Si elle porte le sujet depuis un certain temps, la Fédération espère cette fois que le dossier va évoluer afin « de remettre un peu d’ordre dans un désordre établi depuis trop d’années », conclut son président.
autre affaire
SAFER : quand le droit de préemption est mal motivé…
En matière de transactions portant sur des biens à usage agricole (immobiliers et parfois mobiliers), les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER) disposent d’un droit de préemption… qu’elles ne doivent pas considérer systématiquement comme acquis, comme en témoigne une affaire récente…
Droit de préemption : quand la SAFER privilégie un exploitant au détriment d’un autre…
Pour mémoire, les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER) sont des sociétés anonymes sans but lucratif placées sous la tutelle des ministères de l’Agriculture et des Finances.
Investies de missions d’intérêt général, elles contribuent à l’aménagement foncier du territoire, par exemple en achetant des terres et en les revendant à des candidats privés ou publics, porteurs de projets ruraux, agricoles ou d’aménagement foncier.
À cette fin, la loi institue au profit des SAFER un droit de préemption, notamment en cas de vente de biens immobiliers à usage agricole. En d’autres termes, elles sont systématiquement informées des projets de vente de biens ruraux par les notaires.
Lorsqu’elles exercent ce droit de préemption, elles « passent devant » l’acheteur initial. Au terme de l’opération, les SAFER revendent ainsi le bien acquis à une autre personne, dont le projet est jugé plus adéquat avec les enjeux d’aménagement locaux.
Dans une affaire récente, le juge a dû se prononcer sur la validité de l’exercice du droit de préemption de la SAFER. À l’occasion d’un projet de transaction immobilière d’un bien entrant dans le champ d’application de cette prérogative, une SAFER notifie à un notaire qu’elle exerce son droit de préemption sur une parcelle enclavée dont la vente avait été promise à une société.
Considérant qu’il s’agit ici d’un détournement de pouvoir, cette dernière demande l’annulation de la préemption.
La SAFER se défend : elle rappelle qu’un détournement de pouvoir ne peut pas être retenu tant qu’elle n’a pas procédé aux opérations de rétrocession, à moins de rapporter la preuve, dès le stade de la préemption, d’un engagement ferme et définitif de sa part à l’égard du rétrocessionnaire potentiel identifiable dans la décision de préemption… ce qui n’est pas le cas ici, selon elle.
D’autant plus qu’elle indique que plusieurs autres rétrocessionnaires potentiels étaient identifiés !
De son côté, la société évincée rappelle notamment que la SAFER a :
- préempté le bien à la demande d’une seule société concurrente ; la seule, avec elle, susceptible d’être intéressée par cette parcelle enclavée. Par conséquent, indiquer que plusieurs autres rétrocessionnaires pouvaient être intéressés par cette parcelle enclavée était totalement illusoire compte tenu de la configuration des lieux ;
- faussement présenté le rétrocessionnaire potentiel comme étant spécialisé en production ostréicole.
Des arguments qui emportent la conviction du juge, qui donne raison à la société évincée. Il considère, d’une part, que la mention, dans la décision de préemption, d’autres rétrocessionnaires potentiels était en effet illusoire compte tenu de la configuration des lieux et, d’autre part, que la SAFER avait effectivement faussement retenu, dans sa motivation, que le rétrocessionnaire potentiel était spécialisé en production ostréicole.
La motivation de la SAFER n’était donc pas réelle et ne visait qu’à dissimuler la perspective de privilégier un exploitant au détriment d’un autre !
La décision de préemption est donc annulée !
Sources :


